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30 ans de prison pour Bosco Ntaganda, le Bourreau de l’Ituri (RD Congo)


Impassible lors du prononcé de sa peine par les juges de la Cour pénale internationale, Bosco Ntaganda, ancien chef d’état-major de l’Union des patriotes congolais (UPC) dirigé par Thomas Lubanga, a écopé d’une peine de 30 ans de prison, la plus lourde jamais prononcée jusque-là par la CPI.

En effet, le système de détermination des peines de la Cour semblait beaucoup plus clément par rapport à celui des tribunaux pénaux ad hocet même de certains États parties comme la RDC[1].

Pour comprendre cette affaire, il convient de revenir sur le profil de Bosco Ntaganda (I), avant de souligner les spécificités de cette affaire (II) et de faire quelques observations (III).


I. Bosco Ntaganda : le parcours d’un criminel hors normes


Le parcours de Bosco Ntaganda est celui d’un vrai criminel. Il a commencé sa carrière militaire au sein du FPR au Rwanda, puis après le génocide, il s’est retrouvé en 2002, en Ituri (en RDC), aux côtés de Thomas Lubanga au sein de l’UPC, comme chef d’état-major. C’est là que commence son parcours criminel puisqu’il avait été responsable des opérations militaires de ce groupe. Il s’était brouillé avec son chef et avait rejoint Laurent Nkunda (un autre chef rebelle) au cours de l’année 2006 au Kivu. Il continua à commettre des crimes. En 2009, cherchant à diviser le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Nkunda, Ntaganda organise, avec le soutien du Rwanda, un putsch pour évincer Nkunda et s’installer comme seul chef du groupe. Il accepte de signer un accord de paix avec le gouvernement congolais qui, en retour, lui confie le grade de Général dans les rangs de l’armée congolaise. Un homme qui venait pourtant d’être accusé en 2008 du massacre de 150 civils dans le village de Kiwanja, dans le Nord-Kivu[2]. Malgré tous ces crimes, les autorités congolaises ont refusé d’exécuter le mandat de la Cour contre Ntaganda compte tenu des inquiétudes sécuritaires qu’impliquait l’arrestation de l’intéressé à cette époque au Kivu. Toujours attiré par les crimes, Bosco Ntaganda décida de créer, en 2012, un nouveau groupe armé, le « M23 », un mouvement qui revendique la mise en œuvre de l’accord du 23 mars 2009, signé par la RDC et le CNDP, précisément lorsque le gouvernement congolais changa de politique pour procéder à son arrestation. Le 20 novembre 2012, le M23 s’empare de la ville de Goma (capitale de la province du Nord-Kivu) sous l’impuissance de l’armée congolaise et l’inaction des soldats des Nations-Unies.. Il faut attendre août 2013 pour voir le M23 perdre du terrain à cause de la grande offensive conjointe des forces armées de la RDC avec la brigade d’intervention créée à cet effet par le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Se sentant en danger, Bosco Ntaganda décide de fuir au Rwanda, puis à l’ambassade des Etats-Unis à Kigali (Rwanda). C’est à partir de là que la CPI a mis la main sur lui, l’intéressé ayant décidé de se mettre à la disposition de la justice.


II. Les spécificités de l’affaire Bosco Ntaganda


L’affaire Bosco Ntaganda a connu plusieurs rebondissements. Tout d’abord, la Chambre préliminaire avait réfusé de délivrer un mandat d’arrêt que le procureur avait sollicité en début 2006 au motif que l’affaire Bosco Ntaganda n’était pas assez grave au regard de l’article 17-1-d du Statut, le rang de Bosco Ntaganda dans la milice héma étant inférieur à celui de Lubanga. Mais la Chambre d’appel infirma cette décision plus tard. Le premier mandat fut délivré sous scellés le 22 août 2006 et le second mandat, le 13 juillet 2012.


Ensuite, c’est dans cette affaire que le Procureur a, avec 6 ans de retard, essayé de corriger les erreurs de l’affaire Lubanga. En visant à la fois des meurtres, des viols ainsi que le crime d’esclavage sexuel, le Procureur a essayé de répondre aux critiques virulentes qui lui avaient été adressées par les victimes au regard du caractère limité des charges qu’il avait retenu en 2006 dans l’affaire Lubanga (enrôlement, conscription et utilisation d’enfants soldats).


En outre, la Chambre d’appel avait rappelé dans cette affaire que le droit international humanitaie ne contient pas en soi de règles générales qui priveraient catégoriquement les membres d’un groupe armé de toute protection contre des crimes commis par des membres du même groupe armé. En l’espèce, les faits de viol ou d’esclavage sexuel vis-à-vis des membres du même groupe sont constitutifs de crime de guerre[3].


Une autre spécifité de cette affaire est le fait qu’il s’agit de la première affaire dans laquelle une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt s’est livrée volontairement à la Cour le 22 mars 2013. On ne connaît pas clairement les raisons qui ont poussé l’intéressée à se livrer via l’Ambassade américaine à Kigali le 18 mars 2013.


Enfin, c’est dans cette affaire que la problématique de la relation entre paix et justice a été soulevée dans la situation en RDC.


Pour le gouvernement congolais, il n’était pas question d’arrêter et de remettre Ntaganda à la CPI tant que le processus de paix entamé dans le Kivu n’avait pas été couronné de succès. Après l’écoulement d’un certain temps, le changement d’avis des autorités congolaises a provoqué sa désertion dans l’armée congolaise. « Nous avons, nous aussi, quelques comptes à demander à ce Monsieur »[4]avait déclaré le ministre congolais de la communication. La RDC a finalement compris qu’il n’y a pas de « paix sans justice ».


III. Quelques observations


De cette affaire, on peut faire quelques observations.


Premièrement, après plusieurs années du conflit qui a été à l’origine des enquêtes de la Cour, on peut se poser des questions sur l’impact réel de la Cour. Des combats sont de retour et des déplacés internes plus nombreux. On n’a pas l’impression que l’impact a été dissuasif. Est-ce parce que les premières enquêtes n’ont pas attaqué le cœur du problème ? Est-ce d’ailleurs le rôle de la Cour ? Est-ce parce qu’on s’est attaqué à des acteurs de second plan ? A des acteurs qui n’étaient plus actifs ? Autant des questions pertinentes.


La deuxième, des ituriens qui trouvaient injuste l’arrestation de Lubanga et Ngudjolo devraient se réjouir. Bosco Ntaganda était le chef d’état-major du groupe et avait une position très importante.


La troisième, ce que le Bureau du Procureur n’a pas pu obtenir avec Thomas Lubanga, il l’a obtenu avec Ntaganda à savoir une lourde condamnation pour diverses charges.


La quatrième, par rapport à la forme de responsabilité pénale pour laquelle l’intéressé a été reconnu coupable. On peut se poser la question sur la justification de cette peine lourde : quelles sont circonstances aggravantes retenues et les circonstances atténuantes rejetées ? En effet, les circonstances aggravantes ont été examinées en fonction des charges retenues contre Bosco Ntaganda. Ainsi, la Chambre dit clairement que le fait que pendant la première opération, il a ordonné des crimes et a participé personnellement à des comportements violents vis-à-vis de l’ennemi, comme expliqué dans le jugement, est un élément qui, de l’avis de la Chambre, alourdit encore sa culpabilité[5]. La Chambre a en outre retenu les circonstances aggravantes suivantes : la cruauté particulière qui a caractérisé la commission des crimes en un certain nombre d’occasions, la vulnérabilité spéciale de certaines victimes, et, pour ce qui est du meutre de l’abbé Boniface Bwanalongo, le fait que Bosco Ntaganda, en tant que responsable de haut rang, a commis le meurtre en présence de ses subordonnés et était animé d’une intention ou d’un mobile discriminatoire[6]. Le crime consistant à diriger intentionnellement une attaque contre des civils est une infraction grave à l’un des principes fondamentaux du droit international humanitaire[7]. De même, le viol et l’esclavage sexuel de civils et d’enfants de moins de 15 ans associés à l’UPC/FPLC (Union des patriotes congolais et Forces pour la libération du Congo) sont des crimes très graves[8]. Toutefois, la Chambre précise que toute circonstance aggravante doit être prouvée au-delà de tout doute raisonnable[9]. Les allégations de pressions exercées sur des témoins n’ont pas été prises en considération comme circonstances aggravantes, faute de preuve[10].


Cependant, la Chambre a examiné aussi un certain nombre de circonstances potentiellement atténuantes. Parmi ces circonstances atténuantes potentielles, on mentionne l’âge et la position de Bosco Ntaganda, sa formation et son expérience militaire, sa prétendue contribution à la paix et à la réconciliation, et sa reddition à la Cour.


La Chambre a rejeté l’argument de la Défense, selon lequel Bosco Ntaganda était très jeune lorsqu’il a assumé ses responsabilités au sein de l’UPC/FPLC. Elle a considéré que son âge à l’époque visée n’était ni un facteur aggravant ni un facteur atténuant.[11]Ensuite, la Chambre a examiné l’expérience personnelle de Bosco Ntaganda pendant le génocide rwandais. Sur ce point, bien qu’elle ne doute pas de l’effet traumatisant sur Bosco Ntaganda du fait d’avoir vecu ce génocide qu’elle a du reste reconnu dans son jugement, la Chambre a considéré que la protection alléguée d’un groupe au moyen d’actes visant à détruire et désintégrer un autre groupe ne saurait en aucune circonstance revêtir un caractère atténuant[12]. Elle a donc décidé de n’accorder aucun poids à cet élément. S’agissant de sa prétendue contribution à la paix et à la réconciliation, la Chambre n’a pas reconnu le caractère atténuant à cet élément. Quant à la redittion volontaire de Bosco Ntaganda et sa coopération avec la Cour et son attitude pendant le procès ainsi que pendant sa détention, la Chambre a revelé le retard considérable, cinq ans avec lequel est survenue la redittion de Bosco Ntaganda, retard qui reduit selon la Cour, le caractère atténuant[13]. Etant donné que la peine individuelle la plus lourde est l’emprisonnement à perpétuité et que la durée maximale d’une peine d’emprisonnement à temps est également de 30 ans, la Chambre ne peut infliger qu’une peine de 30 ans ou une peine à perpétuité en tant que peine unique prononcée à titre cumulatif. Elle a conclu que les crimes dont Bosco Ntaganda a été déclaré coupable ne justifient pas une peine d’emprisonnement à perpétuité, malgré leur gravité et le degré de culpabilité de l’intéressé[14].


Enfin, dernière observation, les crimes commis au Kivu, qui ont valu à Bosco Ntaganda le surnom de « Terminator », demeurent impunis devant la Cour. Une action doit être entreprise pour poursuivre ceux qui y sont impliqués. Les enquêtes de la Cour à l’Est du Congo, n’ont jusque-là concerné qu’un seul individu, le général des FDLR « Mudacumura » qui du reste aurait été tué lors d’une opération de l’armée congolaise. A ce jour, il n’y a pas d’affaire concernant les crimes commis au Kivu devant la CPI.


L’auteur remercie Bernard Ntahiraja et Balingene Kahombo pour la relecture


[1]Le Statut de Rome a ses propres principes sur les peines (art 77 et 78) mais le constat est que s’agissant de la sévérité des peines, les auteurs potentiels n’ont àcraindre que des sanctions moins lourdes que celles généralement prononcées par les juridictions nationales pour les mêmes faits. Voir à ce sujet Mark Drumbl, « Atrocity, punishment, and international Law », Cambridge University Press, New-York, 2007, p. 15.


[2]Human right watch, « justice bradée », 4 juillet 2009, p. 62.


[3]CPI, Chambre d’appel « Arrêt relatif à l’appel interjeté par Bosco Ntaganda contre la deuxième décision rendue concernant l’exception d’incompétence de la Cour soulevée par la Défense s’agissant des chefs 6 et 9 », n° ICC-01/04-02/06 OA5, du 15 juin 2017, §2, §51 et §57.


[4]Réaction du ministre congolais de la communication, Lambert Mende, le 5 septembre 2012 à la suite du 2ème mandat d’ arrêt de la CPI( lancé le 13 juillet 2012)


[5]Résumé de la décision relative à la peine rendue le 7 novembre 2019 par la Chambre de première instance VI dans l’affaire Le Procureur c. Bosco Ntaganda, §11.


[6]Id. §18.


[7]Ibid. §20.


[8]Ibid. §27.


[9]Ibid. §58.


[10]Ibid. §59.


[11]Ibid. §49.


[12]Ibid. §50.


[13]Ibid. §53.


[14]Résumé sur la peine, op. cit., §63 et 64. Selon la Chambre, eu égard aux conclusions tirées pour chacun des crimes, au chevauchement de comportement entre certains de ces crimes, à toutes les autres considérations pertinentes en l’espèce et nonobstant le fait qu’aucune circonstance atténuante n’a pu être retenue, les crimes de Bosco ne justifient pas un emprisonnement à perpétuité.

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