Enfin la Cour pénale internationale montre ses dents dans la situation en Afghanistan

Le 5 mars 2020, la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale ( CPI) a décidé à l’unanimité d’autoriser le Procureur d’ouvrir une enquête pour des crimes présumés relevant de la compétence de la CPI en lien avec la situation en Afghanistan.
La Chambre d’appel a, dans son arrêt, amendé la décision « controversée » de la Chambre préliminaire II de la CPI du 12 avril 2019 qui avait rejeté la demande du Procureur et avait conclu que l’ouverture d’une enquête « ne servirait pas les intérêts de la justice ». Les juges de la Chambre préliminaire avaient estimé que les «circonstances» (durée très longue de l’examen préliminaire, absence de coopération des États concernés, coût de l’enquête) ne permettaient pas d’envisager le succès de l’enquête et des poursuites et risquaient de créer une « hostilité » d’envers la CPI[1]. Le Procureur avait interjeté appel contre cette décision.
Après examen des moyens d’appel du Procureur ainsi que des observations et arguments des parties , la Chambre d’appel a conclu que la Chambre préliminaire avait commis une erreur en prenant en considération le facteur des « intérêts de la justice » dans son examen de demande d’autorisation d’ouvrir une enquête. De l’avis de la Chambre d’appel, la Chambre préliminaire aurait dû s’en tenir à seulement examiner s’il y avait une base factuelle raisonnable permettant au Procureur d’ouvrir une enquête, c’est-à-dire si des crimes ont été commis et si ces crimes sont de la compétence de la CPI.
Ayant déjà répondu à ces deux questions dans l’affirmative lors de sa décision du 12 avril 2019, la Chambre d’appel a décidé d’autoriser l’ouverture d’une enquête de son propre chef plutôt que de renvoyer l’affaire devant la Chambre préliminaire pour une nouvelle décision.
Cette décision de la Chambre d’appel intervient à un moment critique de la Cour avec le processus de réformes engagé par l’Assemblée des États parties et selon un observateur de la Cour, cette décision de la Chambre d’appel « vaut 10 milles réformes ».
Sur la question des « intérêts de la justice », la Chambre d’appel considère que l’art 15 et 53 sont des dispositions distinctes concernant l’ouverture d’une enquête par le Procureur dans deux contextes distincts. L’art 15 du Statut régit l’ouverture d’une enquête proprio motu, tandis que l’art 53 (1) concerne les situations qui sont déférées au Procureur par un Etat partie ou le Conseil de sécurité. La Chambre d’appel note que l’art 15 ne fait référence ni à l’intérêt de la justice ni à l’art 53 du Statut (§34 de l’arrêt de la Chambre d’appel). Si les rédacteurs du Statut avaient voulu importer les considérations sur les « intérêts de la justice » dans le processus d’autorisation de la Chambre préliminaire, ils auraient inclus une telle exigence dans le Statut. De l’avis de la Chambre d’appel, cela montre que les facteurs visés à l’art 53 (1) a) à c) ne sont pas pertinents aux fins de la décision de la Chambre préliminaire. La Chambre préliminaire avait donc fait une mauvaise interprétation de l’art 53 du Statut de Rome. C’est au Procureur de décider de ne pas enquêter ou poursuivre pour « les intérêts de la justice » et la Chambre peut exercer un contrôle sur une telle décision négative. Le Statut ne donne pas à la Chambre le pouvoir d’empêcher une enquête décidée par le Procureur sur la base de sa perception des intérêts de la justice. Le point de vue de deux chambres (préliminaires et d’appel) diffèrent en ce sens que la Chambre préliminaire considère qu’elle a le pouvoir d’examiner « les intérêts de la justice » que le Procureur ait décidé ou non d’enquêter. L’absence de référence aux « intérêts de la justice » dans les dispositions de l’article 15 (4) ne serait alors qu’un oubli selon la Chambre préliminaire. De l’avis de la Chambre d’Appel, le facteur « intérêts de la justice » énoncé à l’article 53 (1) (C) du Statut ne fait pas partie de la décision de la Chambre préliminaire au titre de l’art 15 §4 ( voir §37 de l’arrêt de la Chambre d’appel). Le raisonnement de la Chambre préliminaire à l’appui de sa conclusion concernant les « intérêts de la justice « était superficiel, spéculatif. Le Procureur n’a pas à déterminer de manière affirmative qu’une enquête serait dans l’intérêt de la justice, comme l’a suggéré la Chambre préliminaire( §49 de la Décision de la Chambre d’appel). La question des intérêts de la justice, est du ressort du Procureur seul.
Il sied aussi de mentionner la pertinence de cet arrêt de la Chambre d’appel pour l’Afrique, en particulier dans le débat d’une CPI « censée viser que les africains ». Cet Arrêt démontre la capacité d’une Cour à enquêter et poursuivre les crimes commis partout dans le monde. De même, que sa capacité de poursuivre les crimes commis par les « puissants » ou du moins les ressortissants de grandes puissances. Pendant longtemps la Cour a fait face à plusieurs critiquent notamment : sa focalisation aux situations africaines alors que l’Afrique n’a pas le monopole des crimes internationaux, ensuite son inefficacité à s’intéresser aux crimes commis par les ressortissants des grandes puissances. La décision de la Chambre préliminaire du 12 avril 2019 avait d’ailleurs renforcé le sentiment d’une Cour faible face aux puissants. Depuis sa création, seules les procédures contre les acteurs non étatique ont abouti. Aucun acteur étatique n’a été condamné par la Cour. Aujourd’hui, cette décision de la Chambre d’appel qui est conforme au droit prouve que la Cour peut poursuivre des crimes ailleurs qu’en Afrique et qu’elle peut faire face aux pressions politiques et aux menaces de certaines grandes puissances ( l’exemple des Etats-Unis). La Cour devra, pour reprendre la philosophie des rédacteurs du Statut de Rome, être un instrument efficace de lutte contre l’impunité des auteurs des crimes graves partout dans le monde.
Par ailleurs, un observateur, compare la CPI à la tortue de la fable de la fontaine. Elle continue son chemin malgré les critiques. Elle se hâte avec lenteur et persévérance…
Enfin, l’analyse de cet arrêt de la Chambre d’appel montre que les juges n’ont fait que du droit et rien d’autres. Ils ont donc montré que la Cour reprend le pouvoir et a la capacité de montrer ses dents. Ils n’ont pas contrairement à leur collègues de la Chambre préliminaire capitulés face à la menace américaine. Pourvu que cela dure….
[1]Raphaël Nollez-Goldbach, “ Article 15, Le Procureur » in Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Commentaire article par article, Sous la direction de Julian Fernandez, Xavier Pacreau et Muriel Ubéda-Saillard, Ed. Pédone, Tome I, 2019, p. 832.