Les sanctions américaines dirigées contre la CPI en droit international

La question de savoir si les sanctions américaines dirigées contre la Cour pénale internationale (CPI) et certains de ses fonctionnaires violent le droit international revient à se demander si un État peut contrecarrer la lutte contre l’impunité des crimes prévus par le Statut de la CPI. Avant de répondre à cette question, il sied d’abord de revenir sur le contexte et la nature de ces sanctions (I) avant de voir si celles-ci violent le droit international (II).
I. Contexte et nature des sanctions américaines dirigées contre la CPI
L’hostilité américaine vis-à-vis de la Cour pénale internationale ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 2002, après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, les États -Unis (les E.-U), ont sollicité et obtenu de la part du Conseil de sécurité une « immunité de poursuite » de la CPI (lecture extensive de l’article 16 du Statut de Rome) contre des responsables et personnels des opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Ensuite, un « privilège catégoriel »[1] a été accordé au travers de la Résolution 1593 (sur le Darfour) qui exclut les ressortissants américains de la compétence personnelle de la Cour dans la situation au Soudan devant la CPI. Il en est de même, dans la Résolution 1970 sur la Libye. Au même moment, les E.-U ont continué de signer des accords bilatéraux protecteurs (99 sont entrés en vigueur)[2]. Un texte légal, ASPA (American service members’ Protection Act) a été publié en 2002. Il interdit à tout tribunal américain, agence ou entité fédérale ou fédérée de coopérer avec la Cour pénale internationale et il prohibe tout transfert à la CPI de documents relevant de la sécurité nationale américaine[3] et prévoit que le Président américain « is authorized to use all means necessary and appropriate » à la libération de personnes détenues par la Cour ou en son nom s’il s’agit de « covered united states persons » ou de « covered allied persons »[4]. Il s’agit là d’une loi « hostile » à la Cour. Elle a été décrite comme « un acte d’invasion de La Haye » car elle permet l’usage de la force pour libérer tout citoyen américain ou d’un pays allié susceptible d’être détenu par la Cour (à La Haye). Cependant depuis le Vietnam, il existe une pratique constante du Congrès en matière d’autorisation de recourir à la force (une autorisation explicite avec référence à la War Powers Resolution de 1973[5]
C’est sur la base du document ASPA 2002 que l’administration Trump a décidé en juin 2020 de prendre des sanctions économiques pour dissuader la CPI de poursuivre des militaires américains pour leur implication dans le conflit en Afghanistan. Ces sanctions américaines font suite à la décision de la Chambre d’appel de la CPI du 5 mars 2020 autorisant la Procureure à ouvrir une enquête pour des crimes relevant de la compétence de la CPI en lien avec la situation en Afghanistan. Les E.-U rejettent ouvertement la Cour pénale internationale, pour ce qu’elle est ou pour ce qu’elle fait[6].
Le 2 septembre 2020, l’Administration Trump a mis sa menace en exécution contre les officiels de la Cour, particulièrement Mme Fatou Bensouda (Procureure de la CPI) et M. Phakiso Mochochoko, Directeur de la division de la compétence, de la complémentarité et de la Coopération au sein du Bureau du Procureur. Ces sanctions individuelles consistent notamment au gel de leurs avoirs aux E.-U, à l’interdiction d’accès au système financier américain et à l’interdiction du visa, etc.
Plusieurs organisations internationales, régionales et nationales, et des États membres de la CPI (France, Lesotho, Gambie, etc.) ont réagi contre ces sanctions américaines. Voyons maintenant en quoi ces sanctions violent le droit international.
II. La conformité de ces sanctions américaines au droit international ?
a) Les États- unis violent-ils leurs engagements au regard du droit international ?
Indépendamment de la CPI, tous les États se sont engagés à réprimer les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, que ce soit dans la Convention pour la prévention et la répression du génocide de 1948[7], les conventions de Genève de 1949[8], le DIH coutumier,[9] etc. En outre, les États se sont engagés à « coopérer pour assurer le respect universel et la mise en œuvre des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous » (Déclaration sur les relations amicales, A/RES/2625 (XXV), 4e principe). En voulant punir des fonctionnaires de la CPI de faire un travail que tous les États se sont engagés à faire, les E.-U. violent ces engagements, donc, les règles internationales qui les lient même s’ils ne sont pas parties au Statut de Rome. De même, en interdisant à la Procureure Fatou Bensouda de se rendre aux Etats-Unis, ils violent aussi l’accord de siège conclu entre les États- Unis et les Nations Unies dont le siège est à New-York. Dans le cadre de cet accord, les E.-U doivent accorder les facilités (dont les visas et la sécurité) à tous les représentants des États membres et organisations internationales oeuvrant en coopération avec les Nations Unies. C’est le cas de la Procureure de la CPI, qui se rend chaque année à New-York pour faire son rapport devant le Conseil de sécurité des Nations Unies (cas concret de blocage imminent, qui pourrait être à la base de la violation collatérale de l’Accord -cadre de l’ONU avec la CPI).
b) Responsabilité pour un comportement internationalement illicite
Il faut d’abord déterminer le caractère illicite de leurs sanctions (voir point a). De ce caractère illicite découle la responsabilité des E.-U. Cette conséquence se fonde sur la coutume codifiée par la Commission de droit international dans le projet d’articles sur la Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite. Tout État pourrait donc mettre en cause la responsabilité des E.-U. pour un comportement internationalement illicite. Est ce que les États parties au Statut de Rome pourraient engager la responsabilité civile américaine pour cet acte ? Il s’agit à notre avis de la responsabilité internationale (et non civile [10]) qui peut être engagée par des protestations, voire une procédure judiciaire ou arbitrale que les E.-U. n’accepteront évidemment pas. Cela pourrait aussi être l’occasion d’une plainte à l’AGNU [11] (Assemblée générale des Nations Unies) si l’État plaignant peut espérer trouver une majorité favorable à une condamnation éventuelle, ce qui est loin d’être sûr. Quant aux fonctionnaires de la CPI qui seraient frappés par ces sanctions, ils peuvent en demander réparation devant les tribunaux américains en se prévalant du droit international; ce ne serait pas facile, mais c’est imaginable.
Ils ont aussi la possibilité de faire un recours administratif auprès de l’OFAC (The Office of Foreign Assets control), une agence américaine dépendant du Département de la justice, qui est chargée de l’information financière et de la mise en vigueur des sanctions. Ils pourront démontrer auprès de l’OFAC que ces sanctions ne sont pas fondées au regard du droit international.
Enfin, la notion de protection diplomatique peut intervenir pour les deux fonctionnaires ( soit c’est la Cour qui invoque la protection fonctionnelle soit c’est l’État de la nationalité qui invoque la protection diplomatique ).
Quoiqu’il en soit, sanctionner la CPI ou ses fonctionnaires pour leur action dans la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes de droit international revient à violer des règles internationales qui lient les E.-U.
[1] Julian Fernandez, « Les Etats-Unis et la Cour pénale internationale », in Julian FERNANDEZ, Xavier PACREAU et Muriel UBÉDA-SAILLARD : Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Commentaire article par article, deuxième édition, Pédone, Paris 2019, p. 218.
[2] Ibid. p. 219
[3] Ibid. p. 218.
[4] Ibid. p. 218.
[5] Ibid.
[6] Julian Fernandez, op. cit. p. 228.
[7] « Les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir ». Art premier de la Conv. de 1948.
[8] « Chaque Partie Contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves… » L’art Commun 49/50/129/146 des CG. Cité par Eric David, Principes de droit des conflits armés,Bruylant, 6èmeéd, 2019, p. 902, §. 4. 64.
[9] Voir les droits des Nations unies pour lutter contre l’impunité des violations du DIH.
[10] Dans le commentaire de la CDI sur son projet d’articles relatifs à la responsabilité des États de 2001 : le mot « faute » ou l’expression « responsabilité civile » n’y apparaissent que dans des contextes qui relèvent surtout du droit interne de la responsabilité individuelle ( non étatique) ou du défaut de diligence dans le cas de l’Etat. Il y a des situations (des faits internationalement illicite) qui sont assimilables à une faute c’est notamment l’obligation de diligence ou de précaution ce qui est l’équivalent de la faute en droit romano germanique. Le fait pour l’État de n’avoir pas pris de précaution en « bon père de famille » par exemple peut entrainer sa responsabilité.
[11] L’Assemblée générale des Nations Unies est un organe politique mais elle peut en quelque sorte dire le droit lorsqu’elle déclare ou commande (forme normative) en se fondant sur la Charte.